Discours d'Annick Girardin chez Armateurs de France

Mis à jour le 08/12/2021

Discours

Seul le prononcé fait foi

Monsieur le président d’Armateurs de France,

Mesdames et Messieurs,

Je suis venue vous parler de la marine marchande. Je suis venue vous dire ce soir qu’il n’est pas de plus grand plaisir que d’entendre quelqu’un vous interpeler pour vous dire : « j’ai entendu parler du Fontenoy et du ministère de la mer, c’est bien, on se sent soutenu ! ». Et ce « quelqu’un », cela peut-être :

  • un ancien marin au long cours de l’autre côté de l’Atlantique sur un archipel qui m’est cher ;
  • un ancien commandant converti à l’entreprise et à l’autonomie des navires sur le campus de Polytechnique ;
  • un jeune, au Havre, qui démarre et n’a pas encore fait son baptême de pilot et n’a encore pas idée de ce qu’est le « bural » ;
  • ou un capitaine d’industrie à Paris.

Ilienne et intimement liée à la mer, j’ai mis une partie de moi dans ce Fontenoy. Je l’ai voulu comme :

  • un exercice inédit, dynamique, qui favorise des solutions dans le temps long, une méthode plus que la profusion de la concertation ;
  • un exercice qui permette de prendre en compte l’altérité, qui fasse se croiser des porteurs de projets innovants dans la promotion du transport à la voile – TOWT, Néoline, Grain de SAIL - et des géants du transport maritime mondial, chère Tanya Saadé ;
  • un exercice au cours duquel l’on instruit le sujet du transport maritime dans le temps long, dans lequel mes collègues de Bercy comprennent (enfin) que la marine marchande n’est pas un coût mais bien une force, une richesse, une chance, n’est-ce pas cher Philippe Louis Dreyfus, vous qui œuvrez au quotidien pour que le fait maritime soit une cause nationale partagée dans tous les compartiments de notre vie économique et sociale.

A mon arrivée dans ce ministère, nous avons immédiatement travaillé ensemble. Certains y ont vu le retour du ministère de la marine marchande, je ne suis pas peu fière que l’on ose la comparaison, en plaçant le ministère de la mer sur le même horizon. Notre ambition commune fut rapidement établie : faire de la France LA place forte du shipping international. Vous aviez fourni un travail important avec les 40 mesures du Plan stratégique pour la marine marchande française. Ce document, que vous m’avez remis en septembre 2020, a été la base, disons le démarrage, de ma réflexion pour envisager des mesures nouvelles, inédites, des mesures qui changent les choses. Je l’ai toujours dit, ce ne sont pas seulement les kilomètres carrés de mer territoriale ou de ZEE qui font une grande nation maritime, c’est avant tout son dynamisme économique, la diversité et la vitalité de ses acteurs. Parce qu’il n’y a pas de grande nation maritime sans marins, sans armateurs, sans chargeurs, sans ports, sans chantiers, sans tout un écosystème qui œuvre chaque jour au développement de l’économie bleue. Il nous fallait réussir ce Fontenoy, ensemble, et je veux en remercier ici la communauté maritime rassemblée mais aussi les parlementaires et les élus locaux qui travaillent au quotidien pour le développement du secteur.

Les mesures du premier « point tournant » de cette fin d’année, vous les connaissez mais permettez-moi d’en rappeler les grands axes.

  • Un axe économique avec une stratégie de flotte construite pour faciliter son financement et la rendre plus écologique. C’est par exemple rendre opérationnel le « suramortissement vert », c’est la possibilité de démultiplier son effet en le combinant avec le crédit-bail et la garantie de l’Etat pour l’acquisition d’un navire.
  • Un axe social avec une action résolue sur l’emploi. L’objectif est bien d’améliorer le parcours et la carrière des marins français, avec la création d’une aide à l’emploi maritime pour 3 ans, et avec le doublement du nombre d’officiers qui sortent de formation à l’ENSM d’ici quelques années. Le gouvernement est convaincu que le maritime est une source d’emplois importante pour nos jeunes, dès aujourd’hui et demain encore plus. Je travaille à l’établissement d’un projet stratégique pour que cette école soit en capacité de relever ce défi majeur. Je me rendrai au Havre le 16 décembre pour célébrer les 450 ans de l’Hydro et donner des perspectives à la formation maritime.  Je souhaite aussi renforcer le service public professionnel de l’emploi en matière maritime,  afin d’améliorer le placement des gens de mer, améliorer le suivi de leur parcours de carrière, dans l’esprit d’équipage.
  • Un axe écosystémique enfin, car je l’ai dit, le Fontenoy est une dynamique. Ce sont des méthodes qui ont vocation à s’inscrire sur le temps long. Le Fontenoy, c’est la synergie des forces vives du transport et des services maritimes. Je remercie d’ailleurs CMA-CGM de la belle annonce qui vient d’être faite avec la mise en service de trois navires supplémentaires sur la France.

Je n’oublie pas le travail prospectif qui s’est lancé sur la taxe au tonnage, les hypothèques et les financements alternatifs. Nous en attendons des résultats concrets et rapides.

Un Accord de performance, un Pacte, a été signé entre le ministère de la mer, Armateurs de France et le Cluster maritime français, le 14 septembre 2021, lors des Assises de l’économie de la mer à Nice.

Vous le savez, le président de la République a pleinement apporté son soutien à la dynamique du Fontenoy. Cette démarche doit perdurer, au fur et à mesure de notre route. C’est pourquoi j’ai décidé d’ici le début d’année prochaine, de nommer un nouveau président au Conseil supérieur de la marine marchande. Je souhaite que le Conseil soit, à l’image d’une passerelle de navigation, en veille permanente et force de proposition sur les enjeux du shipping. Je veux aussi remercier chaleureusement Marie Françoise Simon Rovetto qui a œuvré sans relâche pour le Conseil pendant près de 7 ans.

Un écosystème n’est rien sans la volonté de ses acteurs d’avancer dans un intérêt commun. Ce qui consacrera la France comme une puissance maritime, c’est la capacité que vous avez, vous, acteurs économiques, hommes et femmes du maritime, à faire le pari de la France. C’est la capacité que nous avons, ensemble, de créer les conditions de cette approche gagnant-gagnant. Depuis trop longtemps le monde maritime n’avait pas été suffisamment rassemblé, solidaire. Aujourd’hui, il doit le faire, il peut le faire, il va le faire, sous l’angle de la transition énergétique.

Le transport maritime reste responsable de l’émission  de près de mille millions de tonnes de gaz à effet de serre par an. Cette part n’est pas négligeable – elle est équivalente aux émissions annuelles du Japon, 5ème pays émetteur au monde – et elle augmentera si aucune mesure réglementaire ou initiative supplémentaire n’était prise pour les réduire. Très engagée sur ce sujet, l’Organisation Maritime Internationale a adopté en 2018 une stratégie comportant un objectif général de décarbonation du transport maritime international au plus tôt avant la fin du siècle. Des premières mesures de court-terme ont été adoptées en juin 2021 pour garantir le premier niveau d’ambition 2030 : limitation de la puissance des moteurs, navigation à vitesse réduite, dispositifs renforçant l'efficacité de la propulsion, optimisation du routage… pour ne citer que quelques exemples. La France va même plus loin, « vers des mers plus sûres », car encore plus propres, puisque j’ai en effet pris la décision d’interdire les scrubbers à boucle ouverte dans la bande des trois milles.

Pour autant, le secteur ne pourra accomplir sa décarbonation complète par des seules mesures d’efficacité énergétique. Une profonde et massive mutation technologique des modes de propulsion des navires, enclenchée le plus rapidement possible compte tenu de la durée de vie moyenne d’un navire est indispensable. La question du financement des navires est centrale pour répondre à cette ambition. Les besoins d'investissement en navires neufs sur les dix années à venir, pour faire face au vieillissement de la flotte mondiale mais aussi et surtout à son nécessaire verdissement, sont estimés à 100 milliards d’euros par an.

Je salue ici la coopération entre les forces vives de la nation maritime : la construction et les armateurs dans le cadre de la feuille de route Green ship du CORIMER est absolument essentielle pour moi. Des navires verts, et même décarbonés, peut-être, construits et entretenus en France, armés par des compagnies françaises et des marins français sur toutes les mers du monde et dans des ports français, « architectes de solutions logistiques », qui se donnent les moyens, ensemble, d’accueillir le monde entier. J’ai peu parlé des ports mais je ferai, en lien avec le ministre délégué chargé des transports, des propositions concrètes pour permettre au président de la République de faire de la France, en 2030, le premier port d’Europe. Et allons plus loin, dans cet impératif écologique, dans la complémentarité entre les armateurs, les chantiers et les ports, pour avoir une réponse européenne dans le cadre de Fit for 55, elle est là devant nous, c’est Zero Emission Waterborne Transport du programme Horizon Europe. Il est là le dessein pérenne du Fontenoy.

L’Etat est et sera toujours au rendez-vous :

  • pour stimuler la recherche & développement sur les carburants alternatifs et financer leur déploiement;
  • pour optimiser les dispositifs de financement existant ou en développer de nouveaux le cas échéant, je pense évidemment, là encore, à la mission sur le financement alternatif, cher Fernand Bozzoni ;
  • pour maintenir et développer l’emploi dans le temps long mais pas à n’importe quelle condition, nous aurons l’occasion d’en parler lors du colloque que j’organiserai à La Rochelle les 9 et 10 février prochains, dans le cadre de la présidence française de l’Union européenne et auquel j’espère que vous serez nombreux à participer. Vous connaissez mon combat sur le sujet du règlement de 1992, je veux garantir des conditions de travail et de vie dignes à bord des navires, à bord de tous les navires en Europe, vers une harmonisation efficace et réaliste. Ce colloque se tiendra juste avant le One Ocean Summit de Brest qu’a souhaité le président de la République. Nous aurons donc, entre La Rochelle et Brest, une nouvelle occasion en février de montrer le leadership de la France sur les questions internationales liées aux enjeux maritimes.

Il s’agit donc d’un énorme challenge auquel vous, armateurs, êtes aujourd’hui confrontés. Certains acteurs de cette réussite ont même accepté de « rempiler », n’est-ce pas cher Frédéric Moncany, pour renforcer encore la solidarité des acteurs de la filière maritime dans le domaine des énergies renouvelables.

L’Etat vous accompagnera dans cette dynamique car je porte l’ambition que la flotte battant pavillon français soit la plus verte d’Europe, voire du Monde !

Permettez-moi ici, au-delà de cet enthousiasme, de rappeler quand même que nous sommes encore au milieu du chemin. Je reste préoccupée par la situation plus générale du transport de passagers sous pavillon français, même si l’Etat a œuvré pour donner des perspectives. Ce n’est pas une faveur, c’est un juste retour des choses. Un juste retour des choses, oui, pour les 2474 salariés de la Brittany Ferries. Et l’annonce du jour, cher Jean Marc Roué, d’un navire au GNL sous pavillon français, le 17 janvier, le Salamanca, est une heureuse réponse à cet engagement à vos côtés. Mais je pense aussi, bien évidemment, à La Méridionale, à DFDS, - allez j’élargis la famille - à Corsica Linéa, mais également à nos armateurs d’Outre-mer : nous ne vous laisserons pas tomber, et je veux vous accompagner dans les échéances à venir. Je parle aussi de croisière, la situation est toujours difficile même si les réservations reprennent. Une croisière française qui a réussi à atteindre le pôle Nord avec le Commandant Charcot, tout de même. Je n’oublie pas non plus le travail qui se poursuit sur le registre Wallis et Futuna, cher Hervé Gastinel.

Enfin, j’aurais aimé venir devant vous pour vous dire que la crise COVID est derrière nous. Mais, en cette fin d’année 2021, non, nous ne sommes pas sortis de la crise sanitaire. Pourtant, nous avons appris à vivre avec le virus, nous arrivons à nous projeter vers l’avenir, le monde s’est de nouveau ouvert, et les échanges se poursuivent. Et nous le devons sans doute en très grande partie au transport maritime, à toutes ces femmes et ces hommes qui travaillent au sein de vos entreprises, parfois, souvent, loin de leurs familles, contre vents et marées, et contre la pandémie, pour que le monde continue de vivre. A l’approche des fêtes de fin d’année, permettez-moi donc, d’avoir une pensée toute particulière pour ces gens de mer qui seront loin de leurs proches pour permettre d’assurer la continuité de l’économie bleue entre les différents continents. Sans vous - et sans ceux qui ont pour vocation de soutenir les gens de mer, je pense évidemment au rôle essentiel du guichet unique du RIF -  sans vous, donc, la France n’aurait pas pu être approvisionnée, sans vous pas de marchandises ou de passagers dans les ports, sans vous pas de continuité territoriale, sans vous, sans les gens de mer, l’économie s’arrête, vraiment. Je trouve d’ailleurs très fort en symbole que vous remettiez aujourd’hui même le trophée de la Charte bleue à un marin, représentant tous les marins du monde !

Plusieurs actions concrètes  à destination des gens de mer ont été prises avec le ministère de la mer :

  • je pense à la vaccination des gens de mer – elle est arrivée prioritairement, tardivement certes, mais prioritairement ;
  • je pense aux facilitations des relèves d’équipage,
  • je pense à la reconnaissance du statut de travailleur essentiel.

C’est aussi pour cela que j’ai ardemment souhaité la mise en place d’une logique de branche Accidents du travail maladies professionnelles pour les marins, après l’excellent travail que Philippe Laffon a remis au gouvernement. J’en profite pour remercier Jean François Jouffray, président du Conseil supérieur des gens de mer, qui va continuer sa mission, dans l’intérêt général.

Pour terminer, je constate, cher Président Sauvée, que le nombre de vos adhérents augmente. De quoi occuper le nouveau délégué général, Jean Philippe Casanova, dont je salue le pilotage expert et reconnu, tout en remerciant Jean Marc Lacave pour son implication et cette belle carrière maritime qu’il termine mais qui n’est sans doute pas tout à fait terminée. Faire grandir le nombre d’adhérents est une très bonne chose, car cela montre que la France est attractive.

La France a la chance d’avoir préservé, malgré cette tempête, malgré toutes les tempêtes traversées,  un écosystème riche et diversifié. Nous avons une flotte présente sur tous les secteurs d’activité, avec :

  • des leaders mondiaux, et des plus petites entreprises, dans une complémentarité évidente et reconnue ;
  • avec des armateurs présents dans les différents secteurs du transport, et aussi des entrepreneurs dans les services de travaux maritimes, qui se développent avec l’économie bleue ;
  • avec des marins compétents avec un système de formation efficace et promu, oserais-je dire exportable, dans le monde entier.

Nous sommes sur le bon chemin et nous œuvrons, collectivement au développement de l’économie de la mer. Bientôt, en 2030, grâce au Fontenoy,  100 navires verts de plus pour faire passer notre flotte à plus de 600 navires, bientôt, 6000 emplois de gens de mer, de spécialistes du financement, des emplois de qualité dans une marine marchande redynamisée. Trop longtemps nous avons manqué d’ambition commune pour notre marine marchande, nous nous sommes contentés de préserver l’existant. Mais aujourd’hui, la crise sanitaire nous montre à quel point il est indispensable pour toute nation de disposer de chaînes logistiques maritimes résilientes. C’est une nécessité. Vous avez pu le constater, je porte une grande ambition pour ce secteur d’activité qui, je le répète, est indispensable à la vitalité de notre économie nationale, qui plus est à l’aune de France 2030. Ainsi, nous nous devons collectivement d’avoir un esprit de conquête ! C’est mon ambition, c’est notre ambition et je sais pouvoir compter sur notre esprit d’équipage pour y arriver !

Vive la marine marchande, vive la France !