Discours de Annick Girardin devant le Conseil du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins

Mis à jour le 19/11/2020

Discours

Madame Annick Girardin, ministre de la Mer, a prononcé un discours devant le Conseil du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM) le 17 septembre 2020

Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les membres du conseil,

Je vous remercie pour votre invitation et suis très heureuse de vous rencontrer et de pouvoir échanger avec aujourd’hui à l’occasion de la réunion de votre Conseil.

Introduction

C’est avec fierté que je m’adresse à vous aujourd’hui en tant que ministre de la mer et je sais que beaucoup d’entre vous ont soutenu la création, la résurrection devrais-je plutôt dire, de ce ministère qui est celui de la pêche maritime.

Fière également en tant que fille d’un ancien marin-pêcheur et ressortissante d’un territoire qui est identifié à la pêche et où cette activité compte beaucoup.

C’est dire que je suis sensible à vos préoccupations tout en assurant l’ensemble des attributions de ce ministère, un ministère de passion, un ministère ambitieux, qui sera à la hauteur de la politique maritime que nous allons construire collectivement.

La pêche est au cœur de cette politique, nous préserverons ses intérêts tout en l’articulant intelligemment avec les défis de demain, ceux de la planification maritime, de la formation, de la croissance bleue et de la préservation de l’environnement marin.

Je suis la ministre de la planification spatiale, et je veillerai ainsi ce que l’ensemble des acteurs soit pleinement consulté.

Brexit

Le Brexit est un défi majeur pour la profession. Je suis fortement mobilisée pour protéger les intérêts des pêcheurs.

J’ai échangé avec Michel Barnier avec les autres ministres des pêches très prochainement. Je lui ai rappelé ma détermination et toute celle que le gouvernement et l’Union européenne ont montré dès le début en faveur de la pêche. Je pense notamment le maintien des accès aux eaux et aux ressources.

Mais nous savons tous que le moment viendra où de part et d’autres chacun se devra de faire des concessions s’il veut réussir la négociation. Nous n’en sommes pas encore là. Aussi je maintiens toute ma détermination sur ce sujet en souhaitant qu’elle soit renforcée par la vôtre. L’unité des pays européens pêcheurs et l’absence de prise donnée aux provocations, sont des gages de notre force.

Iles anglo-normandes

Je suis très attentive à la situation des îles anglo-normandes.

Une solution provisoire a été trouvée pour l’année 2020 concernant l’accès aux eaux de Guernesey : les autorisations annuelles ont permis d’empêcher une suspension de l’activité des navires français dans les eaux de Guernesey après la dénonciation de la convention de Londres. Néanmoins, cette solution n’est ni pérenne ni sécurisante. C’est pour cela que la question de Guernesey est intégrée au mandat de négociations de Michel Barnier, une option durable doit être trouvée. Il est en bien conscient.

La situation est différente pour Jersey, un accord international existe, c’est le traité de la baie de Granville. Il est très contesté par les pêcheurs jersiais, mais je sais que bretons et normands ont déjà entrepris et continuent à fournir d’importants efforts pour maintenir une relation de voisinage satisfaisante et éviter une dénonciation unilatérale du traité. J’ai l’intention de rencontrer prochainement le ministre jersiais pour évoquer ce point-là et lui rappeler l’importance, tant pour la pêche que pour les autres axes de coopération, de maintenir les accords de la baie de Granville.

Evolutions de la politique commune de la pêche et TAC et quota

Je tiens à le réaffirmer avec force, mais je sais que vous en êtes également convaincus : la PCP, ce sont bien sûr des contraintes, mais ce sont surtout des opportunités formidables :

- la mise en commun des eaux et des ressources,

- et la mise en place de « règles du jeu communes » qui, on le voit avec le Brexit, sont essentielles.

Nous devons, sans doute dans la pêche plus qu’ailleurs, défendre ce modèle et cette politique, même si dans certains cas, et je pense en particulier à l’obligation de débarquement, sa mise en œuvre reste complexe et difficile. Un énorme travail collectif a été accompli et continue de se faire pour aménager cette obligation de débarquement et prévoir des flexibilités diverses. Il faut le dire, l’expliquer et impliquer les acteurs. La déclaration des rejets s’est améliorée, mais les efforts doivent être poursuivis pour arriver à des déclarations exhaustives, qui sont prises en compte lors de la négociation des quotas à Bruxelles chaque année en décembre. On ne peut plus faire l’impasse dessus.

Vous vous en doutez, la prochaine PCP sera davantage « verte » et c’est une opportunité, il ne faut pas que nous soyons dans une posture défensive, particulièrement à quelques mois de la présidence française de l’Union. Je compte sur vous pour qu’ensemble nous développions une vision prospective sur la pêche dans les dix prochaines années.

Plus près de nous, les négociations de fin d’année pour les quotas de pêche 2021 s’inscrivent dans un contexte inédit : en plus de la crise sanitaire, qui a ébranlé la majorité de nos armements, les négociations Brexit vont profondément bouleverser les discussions habituelles que nous avons en fin d’année pour déterminer les quotas de pêche. Si un accord sur la pêche est rapidement trouvé avec le Royaume-Uni, les possibilités de pêche pour les stocks partagés seront déterminées dans ce cadre.

Des stocks revêtent une importance particulière : je pense par exemple aux stocks de bar, de raies – la raie brunette tout particulièrement -, les gadidés, le lieu noir, la sole en Manche et du Golfe de Gascogne, celui du maquereau et de la dorade rose également ainsi que la gestion de l’effort de pêche en Méditerranée.

Pour ces stocks, le rendement maximal durable est notre boussole. Si des transitions peuvent être parfois douloureuses, les retombées économiques et écologiques bénéficieront à tous à moyen-terme. C’est pour cela que les avis scientifiques constituent notre base de travail.

Je serai par ailleurs très vigilante à ce que les discussions sur les TAC et quotas ne soient pas l’occasion d’introduire des mesures dogmatiques et technocratiques, sans évaluation scientifique préalable, qui nuisent à l’adhésion des professionnels aux politiques européennes et peuvent induire des divisions et des tensions entre Etats membres. Les discussions relatives aux mesures techniques en mer celtique seront donc suivies avec une attention particulière.

Captures accidentelles de cétacés

Je souhaite maintenant aborder la question complexe et sensible des captures accidentelles de dauphins, qui au-delà des aspects environnementaux, nuit profondément à l’image de votre filière.

Je sais que tous les acteurs et en premier lieu ceux de la pêche professionnelle sont mobilisés depuis 2017 au sein du groupe de travail national dédié à ce sujet. Je tiens à encourager la poursuite de cette concertation et des travaux menés afin de trouver des solutions durables pour diminuer les captures accidentelles de cétacés.

Je sais que le sujet est particulièrement complexe : des incertitudes persistent tant sur la population de dauphin que sur les pratiques de pêche impliquées. Vous êtes en première ligne pour améliorer la connaissance et objectiver le problème avec la déclaration réglementaire des captures accidentelles – qui doit impérativement s’améliorer – ou l’accueil d’observateurs embarqués.

Cependant, malgré les premières mesures mises en place, le constat est sévère, et irréfutable: les échouages continuent à augmenter.

Il est ainsi indispensable de prendre des mesures à court terme. Celles-ci doivent être harmonisées au niveau européen dans le cadre de la politique commune de la pêche, j’y serai vigilante.

Sur la base du dernier avis du CIEM, les Etats membres concernés travaillent sur une recommandation conjointe qui propose notamment l’équipement en pinger de tous les chalutiers pélagiques et des chaluts de fond en pair durant toute l’année, ainsi qu’une fermeture de la pêche de deux semaines, qui permettrait toutefois la rotation des navires et le maintien d’une activité continue de la filière.

A ce stade, nous n’avons aucune garantie sur l’acceptabilité pour la Commission de ces propositions Il faut que nous nous préparions à prendre d’autres mesures si cela est nécessaire. La Commission a l’opinion avec elle sur ce sujet. Je pense que nous pouvons faire évoluer cela.

J’ai pleinement conscience de l’impact socio-économique de ces mesures sur l’ensemble de la filière. Je suis également convaincue que l’absence d’action aurait des conséquences encore plus difficiles, dans un contexte où la France est mise en demeure par la Commission sur cette problématique.

Crise COVID

Je souhaitais également revenir sur la crise que nous venons de traverser et qui n’est pas encore derrière nous. Je sais que votre secteur, comme le reste de l’économie, a été durement touché.

Grâce aux dispositifs transversaux,  3000 marins ont par exemple bénéficié de l’activité partielle adaptée à la pêche, représentant une dépense pour l’Etat de 15 M€.

Au-delà de ces dispositifs, l’Etat et les régions ont réussi, en l’espace de quelques semaines, à organiser un redéploiement d’aides du FEAMP pour appuyer nos secteurs dans cette crise. Avec votre aide, nous avons réussi à élaborer des dispositifs spécifiques de crise et à les faire valider par Commission en un temps record. Le secteur va ainsi bénéficier de plus de 45M€ en mesure de soutien dont près de la moitié pour la pêche pour pallier aux arrêts réalisés pendant la période. Nous pouvons nous féliciter de cette construction conjointe, réalisés dans des délais record.

Plan de relance

Passé ce cap, il faut également réfléchir à la relance. Les filières de la pêche et de l'aquaculture sont pleinement intégrées dans le plan de relance du gouvernement. Ainsi, au-delà des mesures transversales de ce plan, 50M€ seront spécifiquement fléchés pour l’ensemble des filières « pêche et aquaculture » y compris le mareyage.

Là encore, nous avons pu compter sur la proactivité de la filière. Ces mesures sont conçues afin de répondre au mieux aux attentes exprimées par la filière pêche et aquaculture dans le cadre du « Pacte de relance halieutique » finalisé durant l’été. La filière fait preuve d’une ambition de structuration, de modernisation, d’augmentation de sa résilience aux crises et de production durable de produits alimentaires de qualité, qui doivent être encouragées.

D’ici quelques mois, des appels à projet seront ouverts pour financer des actions concourant au développement d'une pêche et d'une aquaculture durable et innovante, contribuant à la compétitivité de l’ensemble de la filière selon trois volets :

un volet 1 « territorial » qui visera à soutenir des projets de développement et ériger les filières « pêche et aquaculture durable » en atout pour les territoires ;

un volet 2 « environnemental » qui viserait à encourager le développement de navires innovants, faisant office de « démonstrateurs » afin de catalyser le verdissement des pratiques de pêche et d’aquaculture.

un volet 3 « attractivité » dont l’objectif sera la promotion grand public des métiers liés aux filières de la pêche et de l’aquaculture.

Les mesures du plan de relance viendront ainsi renforcer la politique d’accompagnement du secteur qui s'appuie largement sur des interventions économiques dans le cadre du FEAMP.

Mes services se rapprocheront des représentants de la filière, dont vous faites partie, afin d’affiner l’identification des besoins d’investissement et d’explorer la façon dont l’État peut venir en soutien au « Pacte de relance halieutique », au-delà du Plan de relance lui-même.

FEAMPA post 2020

Concernant le FEAMP post-2020, notre objectif commun doit être d’aboutir à un dispositif plus simple, plus opérationnel et plus en phase avec vos besoins.

C’est ce à quoi nous nous attachons, d’abord dans le cadre des négociations sur la proposition de la Commission en soutenant la logique de simplification. D’autres avancées ont été actées lors de ces négociations, notamment concernant les mesures relatives à la modernisation de la flotte de pêche et à la préservation des modalités de financement adaptées au secteur de la pêche.

Pour l’élaboration du futur programme opérationnel nous devrons tirer, en toute objectivité, les leçons de la programmation actuelle afin de renforcer l’efficience de notre politique.

Le futur FEAMP devra ainsi permettre de répondre aux défis actuels du secteur de la pêche : la protection des ressources maritimes et la connaissance approfondie des stocks, la protection de la biodiversité, l’amélioration de l’efficacité énergétique des navires, la sécurité à bord. Cela me paraît crucial pour répondre également à l’enjeu du renouvellement des générations dans le secteur de la pêche.

La DPMA a lancé, avec vous et les autres partenaires, les travaux de préparation du futur programme opérationnel national. Je vous invite donc à poursuivre votre participation sur ces bases.

La « responsabilité élargie du producteur » (REP)

Votre filière a su, sur plusieurs sujets, être proactive. Je pense notamment aux questions liées à la « responsabilité élargie du producteur » (REP) pour les engins de pêche utilisés en filières pêche et aquaculture.

Cette responsabilité doit être mise en place au plus tard le 1er janvier 2025 et la loi française prévoit qu’elle puisse se faire par accord volontaire.

Le projet « Pechpropre » porté par la Coopération maritime démontre que la filière s’organise afin que cet accord voit le jour. Je sais que votre filière saura relever ce défi pour être prête en 2025, et je peux vous aider.

Dialogue social

Le calage de certains de ces dispositifs d’urgence a été l’occasion de revitaliser le dialogue social au sein du secteur ce dont je me félicite.

Je souhaite que cela perdure sur les mois à venir.

Il importe en effet que ce dialogue permette de trouver les solutions les plus adaptées au secteur sur ces sujets structurants à moyen et long terme, dans le cadre général qui sera fixé par le gouvernement.   

Sécurité

En application de la loi d’orientation sur les mobilités adoptée en fin d’année dernière, il est prévu de ne plus fixer de durée limite de validité aux certificats et titres de sécurité délivrés par l'administration pour les petits navires professionnels. L'objectif, vous le savez, est de ne plus imposer des visites périodiques systématiques mais qu'elles soient fondées sur le ciblage des navires et des armateurs sur la base d'analyses de risques.

Cette disposition fera l’objet d’une entrée en vigueur progressive avec un accompagnement sur plusieurs années à partir de 2021, afin de tenir compte de la situation spécifique de chaque métier de pêche. Cette même logique doit également nous animer dans les réflexions en cours concernant les catégories de navigation dans une optique de simplification.

Attractivité des métiers de la pêche

Les métiers qui sont les vôtres, ceux de la pêche et de l’ensemble des activités qu’elle nourrit en aval, inspirent la fierté et le respect.

Paradoxalement, ils peinent à attirer et à fidéliser. C’est une problématique qui n’est pas spécifique à la pêche, mais le paradoxe réside pour beaucoup dans l’écart entre la réalité et sa perception par le grand public : des métiers qui font sens, qui sont rémunérateurs, et dont les conditions d’exercice se sont considérablement améliorées ; mais des métiers qui pâtissent d’une image pas très positive.

Il faut poursuivre les efforts pour améliorer ce qui nuit à cette image et faire connaître avec force et détermination les aspects positifs : l’attractivité, c’est d’abord et avant tout l’affaire des acteurs de la filière ! L’Etat est à vos côtés dans cette démarche en faveur de l’attractivité des métiers et il continuera à le faire.

Il importe aussi que l’offre de formation soit rénovée et mieux organisée : nous promouvons ainsi les actions de collaboration et de soutien du réseau d’enseignement maritime avec les lycées professionnels maritimes sous la tutelle de mon ministère mais aussi l’ouverture de classes dans des lycées de la mer, notamment outre-mer.

Enfin, je souhaite que nous puissions disposer d’une radiographie précise des tendances et évolutions des emplois et des qualifications sur 10 à 20 ans pour se projeter et adapter notre action en conséquence.

L’attractivité ce n’est toutefois pas qu’une question de communication ; cela suppose également une filière et des entreprises modernes et performantes pour permettre d’offrir des métiers attractifs et rémunérateurs.

En conclusion, le ministère de la mer que je porte politiquement est à vos côtés pour relever ces défis, pour vous protéger des crises majeures et construire avec vous la filière pêche de demain.

Je souhaite que cette filière demeure rentable, résiliente, respectueuse des enjeux environnementaux, attractive pour les générations futures et fière de ce qu’elle a et aura accompli !